• Vingt-six décembre mille neuf-cent soixante et onze :
C’est dans un hôpital New-Yorkais, loin d’être réputé et chic que ma mère a accouché. Je suis le premier, et donc par conséquent, le plus vieux des deux progénitures auxquelles elle a donné naissance. La vie… C’es t un beau cadeau en soit, seulement, quand on fait des enfants, il faut d’abord avec un travail, non ? Avoir de quoi vivre, de l’argent, suffisamment, pour entretenir une famille, pour acheter les choses basiques et vitales, ne serait-ce que le minimum… Enfin, ce n’était pas l’opinion de ma mère. Cette dernière avait fait deux enfants, certes, elle en était heureuse, ce qui était foutrement normal, sachant que nous étions voulus, cependant, elle ne fit rien pour faire de ces deux petits garçons, deux petits princes, deux petits enfants avec des beaux vêtements, des cahiers pour l’école. Non, rien, absolument rien.
• Vingt-six décembre mille neuf-cent quatre-vingt onze :
Voilà dix ans que je suis sur cette Terre, ma vie est devenue un cauchemar. Entre ma mère qui ramène des tas d’hommes à la maison et qui les amène dans son lit, mon petit frère qui est tout seul et qui manque d’amour maternel, et moi qui suis simplement un petit garçon de dix, bien que trop mature pour son âge. Alors je me demande bien comment va évoluer ce cauchemar. Cela va-t-il s’améliorer ? Cela va-t-il s’empirer et devenir un enfer, sur Terre ? À dix ans, je ne me posais pas franchement la question de ce avec quoi j’allais jouer tout au long de l’après-midi, non. J’avais bien d’autres angoisses. Je me demandais si ma mère allait pouvoir nous donner à manger, le soir, à moi et mon frère. Je me demandais si j’allais pouvoir devenir quelqu’un de bien, si un jour je pourrais boire de l’alcool, dans les mêmes grosses quantités que papa avant qu’il ne parte. Celui qui a servi à notre conception, à mon frère et moi, est parti une fois qu’il a pris conscience des responsabilités que le mot « papa » engageait. Il a fui lorsque j’atteins plus au moins ma neuvième année, alors que mon frère n’avait qu’un an. J’eus la chance, si toutefois c’en était une, de le connaître, de savoir que c’était un vrai connard. Malheureusement, ce qui me chagrinait le plus, c’était de savoir que je ne le verrais plus, ou pas dans l’immédiat. Savoir également que mon frère allait grandir avec une mère qui couche avec des mecs pour essayer de nous payer du pain. Savoir que mon frère et moi, nous allions avoir une vie de merde, et ce, jusqu’à ce que la mort vienne nous arracher six pieds sous Terre.
• Vingt-cinq novembre mille neuf-cent quatre-vingt dix-neuf :
Bientôt dix-huit années que je vis. Ce n’est pas une mince à faire, lorsque l’on grandit dans un milieu aussi cruel et pauvre. La rue, je ne l’avais jamais connue, cependant, j’avais grandi dans des quartiers vraiment détestables et sales de New-York. J’avais plusieurs fois déménagé, pour finir dans des appartements de plus en plus étroits, de plus en plus petits. Finalement, le dernier que ma mère loua était un appartement avec une seule chambre, pour elle, bien évidemment. Mon frère et moi dormions dans le canapé, à deux. Ce canapé miteux, troué de partout et rempli de bière, de whiskey, et d’autres liquides auxquels je ne préfère même pas penser, tant l’envie de vomir serait importante. J’avais juré à mon petit frère que dès que j’aurais atteint la majorité, il viendrait avec moi. J’lui avais promis que l’on partirait de chez cette mère qui s’en fichait pas mal, qui se foutait de nous, était tout le temps ivre. Elle investissait tout dans l’alcool, dans la drogue et ses cigarettes. Quelle égoïste. Je ne voulais pas de cadeau de la part de ma mère, pour mes dix-huit ans, je voulais juste partir, loin.
• Vingt-six décembre mille neuf-cent soixante et onze :
Le jour de mon anniversaire. Bizarrement, je me sentais vraiment mal en partant de chez ma mère, en volant presque mon petit frère. Nous avions le droit au bonheur nous aussi, nous avions le droit de sourire, d’être heureux. Le départ fut tôt, tout simplement parce que cette connasse de mère allait encore faire son cinéma et tout compliquer, nous n’avions pas besoin de ça. Mon frère était attaché à cette dernière, forcément. Sa mère était… sa mère, tout simplement mais je savais qu’il serait reconnaissant de mon acte, plus tard. Quand il prendrait conscience, sûrement, mais il devait se rendre compte de l’importance de tout cela. La larme à l’œil, nous partions, en regrettant déjà de l’avoir séparé de sa mère, ce qui allait être très dur pour lui. Nous avions erré des jours et des nuits entières dans les rues new-yorkaises, tentant tant bien que mal de trouver des chambres d’hôtel peu chères voire gratuites que je finançais à l’aide de boulots payés une bouchée de pain.
• Neuf mars deux mille onze :
Je viens rendre un peu compte de l’évolution de ma vie, depuis mes dix-huit ans. Aujourd’hui, j’ai quarante ans. J’ai beaucoup muri, bien que je fusse déjà quelqu’un de très adulte, à l’âge enfantin de dix ans. Enfin… Après mes petits boulots, j’ai réussi à décrocher un poste de gérant dans un fast-food à New-York même. C’était plutôt bien payé, pour quelqu’un qui n’avait jamais vraiment reçu d’argent. Avec cet argent, j’ai investi dans un petit appartement pour mon petit frère et moi. Nous vivions bien, jusqu’à temps qu’il tombe dans le côté obscur de la vie New-Yorkaise. Il se droguait, fumait, buvait, rentrait bourré tous les soirs, ou ne rentrait pas, parfois. Je me démenais pour pouvoir le foutre à l’école et lui avait passé son temps à ne pas aller en cours et à se faire des dettes monstres pour avoir de quoi se démonter le crâne. Désormais, depuis le jour où j’avais engueulé mon frère et l’avais menacé de le renvoyer chez sa mère par rapport à la drogue, il ne vivait plus avec moi, je n’avais plus de nouvelle de lui, je ne savais même pas où il vivait. Moi, j’étais parti vivre dans l’Ohio et avais enfin eu mon diplôme de psychologue. Je m’étais marié à une femme à Paris, j’en étais fou amoureux, mais elle avait fui et moi, après toutes ces années de silence, je m’étais résigné à partir. Déménager de New-York comme pour laisser tous mes mauvais démons et mauvais souvenirs à New-York, recommencer à zéro.
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Lun 16 Jan - 21:16
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